Eh oui ! Il s’agit bien d’une motopompe bien mal en point sur un champ de ruines. Cette photo est l’œuvre du reporter Frank Scherschel (1907-1981) pour life magazine. En 2014, La Manche Libre diffusait une série de clichés inédits de ce photographe dont celui-ci. L’hebdomadaire demandait aux lecteurs de commenter et de reconnaître éventuellement les lieux.
C’est chose faite ; sur le fronton de l’édifice, on y lit en partie « palais de justice », bâtiment situé face à la préfecture. On sait que dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les sapeurs-pompiers Saint-Lois se sont particulièrement distingués. Mais comment cette motopompe est-elle arrivée-là ?
Maurice Lantier, historien Saint-Lois a recueilli le témoignage de nombreux habitants ayant vécus ces événements. Dans un ouvrage, il cite :
« Après avoir lutté contre le feu rue Béchevel, les pompiers redescendirent rue de la Marne où flambaient les maisons du Dr Godard et de M. Dumaine. Mais les canalisations étaient rompues : plus d’eau ! Il aurait fallu une moto-pompe, mais les Allemands avaient réquisitionnés toutes celles du département (…). M. Lenoir pensa alors à la pompe du Bon-Sauveur. On la prêta sous la conduite de son chauffeur habituel, M. Renard. Le tout était d’accéder à la place de l’Hôtel de Ville ! Pas moyen de passer par la rue Octave Feuillet (…), rien à faire non plus dans la rue de la Marne : toutes les maisons étaient effondrées. La rue de la Poterne se trouvait encombrée par le chantier d’aménagement du « tunnel ». Alors les pompiers prirent la rue Porte-au-Lait et la rue Henri Amiard. Mais là, un trou de bombe interdit le passage de la pompe. Même obstacle rue Carnot, en face de la chaire extérieure de Notre-Dame. Traversant l’enclos, par la rue des Images, puis par la porte Dollée, où pourtant les Allemands avaient dressé des chevaux de frise, mais on n’hésita pas à les déplacer, les Sapeurs remontèrent la rue des Noyers et, par le Soleil Levant, atteignirent enfin la Place Alfred Dussaux et l’Hôtel de Ville ! Heureusement, Place de l’Hôtel de Ville, à côté du kiosque à musique, existait un réservoir d’eau, d’environ 250 m3. Une colonne d’eau fut établie par le Boulevard Clément et la Rue Octave Feuillet, permettant de lutter contre l’incendie de la Caisse d’épargne (…). Tandis qu’une équipe assurait cette lutte, une autre, avec M. Lenoir, redescendait rue de la Marne pour sauver les immeubles (…).
Ainsi, la motopompe placée en aspiration place de l’Hôtel de Ville alimentait bien les lances destinées à l’attaque du feu de la caisse d’épargne sise rue des Maréchaux (aujourd’hui, à peu près la librairie des racontars). Les sinistres rue de la Marne demandèrent une prolongation en tuyaux et il est difficile de savoir si cette opération a pu avoir lieu. Ce qui est certain, c’est que le Sapeur mécanicien Renard a été tué vers 1h00 du matin, victime des bombardements, et cette motopompe sur la photo est bien celle du Bon-Sauveur conduite par cet homme. Il s’agit d’une motopompe Guinard de 60 m3/heure acquise avant 1937 par l’établissement.
Qui était Fernand Renard ?
Né en 1901 à Saint-Germain-de-Coulamer (Mayenne), il est engagé à la compagnie en avril 1944 ; autant dire que son passage fut éphémère. Il était employé au Bon-Sauveur et était le conducteur désigné de ce matériel d’incendie. De son décès et de sa bravoure, rien, sinon son nom gravé sur la plaque commémorative déménagée au centre de secours, mais au titre de la défense passive ! Pas en qualité de sapeur-pompier ; pourtant le registre matricule le cite avec sa date d’engagement, et son grade de Sapeur. La réponse à la requête du Capitaine Desmoulins lors de la séance du conseil municipal du 2 novembre 1944 est toute aussi décevante :
Rapport du Capitaine Desmoulins, chef de corps,
« J’ai le devoir de vous signaler la conduite de la compagnie et le dévouement le 6 juin 1944, à l’occasion du débarquement et du bombardement de Saint-Lô. Nous avons d’abord été alertés dans la nuit du lundi au mardi où tout l’effectif présent est resté de piquet au dépôt des pompes. Vers 3 heures du matin, nous sommes demandés par téléphone pour combattre l’incendie à la ferme Letassey à Baudre, occasionné par la chute d’un avion, abattu par la DCA. Je suis partit avec le Lieutenant Lenoir et la moitié de l’effectif présent, laissant au dépôt l’autre moitié avec le Lieutenant Putot, en cas où il se produirait un autre sinistre en ville pendant notre absence. Nous sommes rentrés vers 10 heures, j’ai alors organisé un roulement pour permettre à mes hommes d’aller manger. Vers 16h15, bombardement sur la gare, à 16h30, nous sommes demandés pour combattre le feu mis à la gare par les avions à une rame de wagons de paille pour les Allemands..Tout l’effectif par avec l’autopompe et la camionnette sous la direction des trois officiers.
A 20h15, nouveau bombardement sur la gare que nous subissons à notre poste.
A 21h30, nous rentrons au dépôt qui était en partie détruit par le premier bombardement de la ville ; à ce moment, j’envoi mes hommes manger et je leur donne rendez-vous pour 23 heures pour combattre les incendies de la rue de la Marne et de Béchevel. Neuf membres de la compagnie sont revenus avec moi pour combattre les incendies dans la nuit du mardi 6 au 7 juin sous le bombardement, ce sont : Lieutenant Lenoir, Sergent Jourdan, Caporal-fourrier Boudet, Caporal Patin René, Sapeur Mesnildrey, Sapeur Hippolyte, Sapeur Louet Henri, Sapeur mécanicien Renard ; dont 4 rue de la Marne, 5 rue Béchevel, et le Sapeur mécanicien Renard, Place de la préfecture à la conduite de la motopompe du Bon-Sauveur. Le Sapeur Renard fut tué à son poste vers 1 heure du matin. La camionnette de Simone Leboucher qui était à notre service depuis six mois, et qui se trouvait Place de la préfecture fut à ce moment anéantie par le bombardement.
Je viens donc vous demander Monsieur le Président de bien vouloir féliciter et récompenser tous les membres de la compagnie qui se sont dévoués à cette occasion, et en particulier l’équipe qui est revenue la nuit du 6 au 7 juin combattre les incendies sous les bombardements. »
Décision du conseil municipal : félicitations verbales lors de la manœuvre du 1er dimanche de novembre. Le Capitaine Desmoulins fatigué et âgé de 66 ans (et certainement très déçu par cette décision) démissionne le 15 novembre. Il propose à sa succession deux officiers : les Sous-lieutenant Lenoir et Putot. Le Sous-lieutenant Lenoir étant le plus ancien, il est ainsi désigné Lieutenant commandant la compagnie.
Décision du conseil municipal : félicitations verbales lors de la manœuvre du 1er dimanche de novembre. Le Capitaine Desmoulins fatigué et âgé de 66 ans (et certainement très déçu par cette décision) démissionne le 15 novembre. Il propose à sa succession deux officiers : les Sous-lieutenant Lenoir et Putot. Le Sous-lieutenant Lenoir étant le plus ancien, il est ainsi désigné Lieutenant commandant la compagnie.
1 LANTIER, Maurice, Saint-Lô au bûcher, revue du département de la Manche, tome 11, fascicule 41, janvier 1969.
2 Monsieur LENOIR était Sous-lieutenant dans la compagnie des sapeurs-pompiers de Saint-Lô,
3 Il faut lire : « la camionnette de Monsieur Simonne, boucher, rue Saint-Thomas.
LTN Claude LEVERRIER